Michel Volle (1940-2024) – (X 1960)

<< Michel Volle était le co-auteur, avec Bernard Guibert et Jean Laganier, de l’article qui définit le concept de nomenclature, article qui reste aujourd’hui la référence sur cette question.>> ( « Essai sur les nomenclatures industrielles » Economie et Statistique n° 20, 1971 ).

Je m’honore d’avoir été le rédacteur en chef d’ « Économie et statistique » lors de la publication de cet article essentiel.

In Memoriam

INSEE – Courrier des statistiques, n° 11, 2024

Pascal Rivière (X 1981) Inspecteur général de l’INSEE

Michel Volle nous a quittés en juin 2024 à l’âge de 83 ans, et celles et ceux qui le connaissaient savent que c’est une grande perte. Il laisse une œuvre d’un intérêt majeur pour la statistique publique, et dont les principaux enseignements résonnent encore aujourd’hui. Il a réfléchi tant au métier de statisticien qu’à ses outils fondamentaux, sans occulter la question fondamentale de l’usage des statistiques et de leur adaptation aux opportunités et besoins du moment.

Les centres d’intérêt, les lectures de Michel Volle étaient multiples. Il avait la particularité d’avoir construit une expertise et écrit des ouvrages de référence dans les trois métiers de base de l’Insee : la statistique, l’économie et l’informatique. Mais dans son parcours éclectique, il s’est aussi intéressé à l’histoire, à la philosophie, aux télécoms, à la théologie, etc., et a publié sur tous ces sujets de manière régulière sur son blog, de 1998 à 2018. La seule table des matières de ses billets de blog occupe une cinquantaine de pages ! Mais il aimait à rappeler que c’était bien l’apprentissage de la statistique, et de la production de statistiques, qui lui avait donné une rigueur, un cadre, une exigence, qui lui furent ensuite utiles toute sa vie.

On se restreint ici aux sujets qui concernent le Courrier des statistiques, ce qui écarte plusieurs aspects majeurs de ses travaux, notamment tout ce qui appartient au domaine des télécoms, et ne permet d’aborder qu’une petite partie du riche héritage intellectuel qu’il laisse.

S’il quitte l’Insee alors qu’il n’a qu’une quarantaine d’années, il n’en laisse pas moins une trace durable sur des générations de statisticiens. On pense bien entendu à son cours intitulé sobrement « Analyse des données », déjà précis, propre et limpide. On connaît moins « Le métier de statisticien » alors qu’il s’agit d’une référence sur la manière de produire des statistiques, dont de nombreux éléments sont toujours d’actualité, à l’ère de la data science : l’importance des unités, codes ou nomenclatures ; les répertoires et questionnaires ; la collecte, la vérification, l’extrapolation ; l’utilisation de sources d’information d’origine administrative ; la fusion de fichiers ; la publication ; etc.

Il est le co-auteur, avec Bernard Guibert et Jean Laganier, de l’article qui définit le concept de nomenclature, article qui reste aujourd’hui la référence sur cette question. Par la suite, il ne cessera dans ses écrits de souligner, au même titre qu’Alain Desrosières, l’importance de ce sujet, sa difficulté intrinsèque et son caractère structurant pour la statistique.

Aimant convoquer une dimension historique dans ses écrits, il rappellera toujours qu’il n’est pas historien de profession, et qu’il y a des personnes bien plus érudites que lui ; mais cela ne l’empêchera pas de mettre en contexte l’activité statistique en rappelant les étapes depuis le XIVe siècle à Florence, ni de produire en 1982 une passionnante Histoire de la statistique industrielle, fondée sur des travaux qu’il a pu mener librement à l’Unité de recherche de l’Insee entre 1975 et 1978 et qui a donné lieu à sa thèse en Histoire. Cette riche chronologie, souvent citée comme référence, illustrée de force portraits, commence aux années 1930 et porte pour la plus grande partie sur la période 1950-1975, période des pionniers qui mettent en place la statistique d’entreprise.

S’il s’intéresse au passé, y compris sur longue période, en veillant à justifier son intérêt pour la question, il porte aussi son regard sur le futur. À titre d’exemple, il publie en 1989 un « Rapport général sur l’évolution à moyen terme de l’appareil statistique français », qui s’ouvre sur cette question fondamentale : « À qui et à quoi sert la statistique ? ». Son constat initial selon lequel le « client » de la statistique ne se laisse pas aisément définir demeure toujours valable. Sur la base de cette question, il organise son rapport autour de quatre questions transversales :

  • les nouvelles technologies et la statistique ;
  • les articulations marchand-non marchand et public-privé ;
  • le rôle de la statistique au sein de l’État ;
  • le conditionnement théorique et social de la statistique.

Le discours est suffisamment général pour n’avoir pris que peu de rides : son questionnement sur l’usage des statistiques est toujours d’actualité, et de plus en plus avec le « déluge de données ».

Économiste, il prend conscience très tôt de l’importance des technologies dans l’économie, écrivant en 1999 « Économie des nouvelles technologies », interrogeant les fonctions de production à rendements croissants, puis publiant « E-conomie » en 2000. Il montre le caractère fondamental du phénomène d’informatisation, trop peu étudié par la littérature économique selon lui. Il approfondit sa réflexion sur les pratiques de prédation en économie dans « Prédation et prédateurs » en 2008, livre dans lequel il modélise les mécanismes essentiels de la prédation et du blanchiment. En 2014, il écrit un ouvrage de référence sur le concept d’iconomie, c’est-à-dire la société que fait émerger la « troisième révolution industrielle », celle de l’informatisation, et en co-produit le dictionnaire. Il est d’ailleurs intervenu sur ce thème lors d’une table ronde du Cnis tout récemment, en 2018.

Sa contribution majeure en informatique peut paraître plus étonnante : statisticien-économiste, l’informatique n’est pas nécessairement son univers de référence au départ. Le blog qu’il crée en 1998 consacre une large part de ses articles aux systèmes d’information, et représente depuis longtemps une mine pour qui étudie cette matière, tant il apporte de lisibilité et de recul théorique sur des questions souvent ardues, techniques. Ses papiers de blog sont percutants, le plus souvent simples à lire et efficaces, en général brefs, pour illustrer une idée (voir par exemple « L’expression des besoins et le système d’information », ou « Éloge du demi-désordre »), parfois plus approfondis (« Évolution du rôle du système d’information : du concept au processus »). Ils constituent autant de briques élémentaires qui vont lui permettre d’élaborer une véritable somme dont il existe peu ou pas d’équivalent : « De l’informatique » en 2006, toujours chez Economica. Il y aborde une très vaste gamme de sujets : caractéristiques physiques des ordinateurs, modélisation, qualité de service, développement, maîtrise d’ouvrage, workflow, histoire de l’informatique et de l’Internet, marketing interne, organisation, réseaux, stratégie d’entreprise, etc.

On l’aura compris, il n’y a jamais eu pour Michel Volle de sujets « nobles » à opposer à des sujets « moins nobles ». Sa démarche, au contraire, est une tentative permanente de comprendre des phénomènes complexes en les abordant dans toutes leurs dimensions, d’en donner à la fois une formalisation générale claire, souvent mathématisée, une solide mise en contexte historique, et des éclairages délibérément simples. Il était capable aussi d’une certaine vigueur dans quelques textes, ne rechignant pas à faire part de ses agacements ou colères.

C’est une personnalité éminente qui nous quitte, infatigable pédagogue, curieux des idées et des êtres, toujours ouvert aux débats, et très attaché au service public.


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