Comme vu au chapitre 3, « Que la Lumière soit », Moïse calcula, à côté du nom commun AL, El, « dieu », un Nom du Dieu Unique de quatre lettres, le « Tétragramme », YHWH, béni soit le Nom.
Le Troisième Commandement
Les deux moitiés de ce Nom sont aujourd’hui des marques d’affirmation en allemand, « Ja ! », et en français, « Oui ! », mais il faut les imaginer dites d’un seul souffle, comme deux fiancés répondant simultanément en ces deux langues au célébrant de leur mariage. Imaginer seulement, car personne ne sait comment ce Nom se prononce, si même il se prononce. Moïse tira en effet une conséquence prodigieuse de l’Unicité de Dieu, l’interdiction absolue de prononcer Son Nom. Ce n’est pas une superstition : prononcer le Nom de Dieu, c’est reconnaître qu’il y a autant de dieux qu’il y a de prononciations.
Cette affaire est si importante que Moïse en fit le troisième pilier du monothéisme, à savoir le Troisième des Dix Commandements. Le premier est l’affirmation « Je suis YHWH ton Elohim (…)« , le second est une longue négation de tout autre dieu : « Tu n’auras pas d’autres Elohim devant Ma face (…)« . Vient le Troisième (Exode 20, 7) : « Tu ne prononceras pas en vain le Nom de YHWH ton Elohim (AT-SM-YHWH ALHYK, Ète-Chem-Adonaï Elohéykha); car YHWH ne laisse pas impuni celui qui prononce son Nom en vain« .
Bien sûr, les traductions de l’hébreu LA TSA, Lo Tissa divergent (Voir A 30 : « le Troisième Commandement« ). D’aucuns disent « Tu ne porteras pas… « , d’autres « Tu n’invoqueras pas… » Toujours est-il que la pratique juive est de ne jamais prononcer « Yahvé » ni « Jehovah » et de toujours prononcer autrement, souvent Adon-Aï, « Mon Seigneur », proche du dieu égyptien Aton et du dieu grec Adonis, mais aussi HaQadosh, « le Saint », ou encore AL-SDY, El-Shadday, « Dieu Tout-puissant ». Adonaï est surtout en usage à la synagogue et dans les prières et bénédictions quotidiennes. Dans l’usage courant contemporain, en Israël et en Diaspora, YHWH se prononce aussi HaChem, « le Nom ». On fait souvent suivre la prononciation choisie d’une formule de révérence, comme « Baroukh Hou« , béni soit-Il, d’où l’appellation fréquente de YHWH, HaQadosh-Baroukh-Hou, « le Saint-béni-soit-Il ».
Une fois ces précautions élémentaires prises, reste à comprendre que le Troisième Commandement vise le blasphème, l’injure faite au Nom de YHWH, prononcé « en vain », « pour le mensonge » dit la traduction du Rabbinat. Cette injure consiste en quelque sorte à « dé-finir » Dieu, c’est-à-dire à en faire un concept fini, résumé en un nom, alors que Sa caractéristique fondamentale est d’être « in-fini », et même transcendant à toute « dé-finition ». La formule « YHWH ne laisse pas impuni (celui qui blasphème) » indique à la fois que le blasphème contient sa propre punition, et qu’il est impossible de s’en repentir. Le blasphémateur s’isole, par le fait même, de toutes les autres créatures. Il reste un blasphémateur, quoi qu’il dise ou fasse pour s’en affranchir, jusqu’à ce qu’il voit « le sol s’ouvrir sous ses pas », comme le rebelle Coré, QRE, Qora’h, qui se rebelle contre l’autorité de Moïse au chapitre 16 du Livre des Nombres et qui est finalement englouti par la terre.
Un cas particulier est celui de l’antisémite (anti-Chem-ite) qui, au lieu de s’en prendre au Nom, au Chem, YHWH, s’en prend à son dérivé YHWDY, Yehudi, « Jéhovien », dont la langue allemande a fait « Jud« , et la langue française « Juif ». Tout jugement enfermant les Juifs dans un qualificatif, fût-il élogieux, risque le blasphême, a fortiori s’il est péjoratif. La qualité de Juif n’empêche rien, comme le montre le cas récent de l’historien israélien Shlomo Sand, auteur de « Comment le peuple juif fut inventé » (traduit de l’hébreu, Fayard, 2008). Le processus habituel est que le blasphémateur antisémite, immédiatement dénoncé comme tel, voit dans les mesures d’isolement prises contre lui une justification de ses injures, et les réitère « indéfiniment », jusqu’à ce qu’il résolve à … changer de nom, possibilité interdite à YHWH, béni-soit-Il.
Personnes morales
Parallèlement à YHWH, Moïse utilise le nom ALHYM, Elohim, parfaitement prononçable, lui. Quoique de forme plurielle – le suffixe YM est la marque du pluriel masculin en hébreu, – c’est un singulier, qu’on peut rendre par « La Totalité des dieux ». Il est vraisemblable que Elohim ait donné le « Allah » arabe, mais aussi le « Ille » latin, d’où vient notre pronom personnel « Il ». On peut donc rendre Elohim par « Il », comme dans l’expression « Béni-soit-Il », ou mieux, par « Ils », comme quand on fait familièrement allusion à des forces qui nous dépassent : « Qu’est-ce qu’ils ont encore manigancé ? »
C’est Elohim qui crée le monde dans le premier chapitre de la Genèse. Pour la Création de l’Homme apparaît le Nom double, YHWH-ALHYM (Genèse 2, 4). Ensuite les deux Noms sont utilisés alternativement, mais non pas indifféremment. C’est faire injure au fondateur du monothéisme que de parler, comme le fait l’ »hypothèse documentaire », d’un « document yahviste » et d’un « document élohiste ». Comme si Edmond Dantès et le Comte de Monte-Cristo avaient été imaginés par deux auteurs différents ! De même, s’il y a deux récits de la Création, c’est que la conception d’un enfant peut être décrite du point de vue des parents ou de celui de l’enfant conçu, bien que ce soit la même conception.
Le recours à la notion de personne morale, qui nous est familière, permet d’approcher la différence entre Elohim et YHWH. Une personne morale, des entreprises de toutes tailles jusqu’aux États souverains, peut notamment « ester en justice ». Elle représente à la fois des gens décédés et des gens qui ne sont pas encore nés, puisqu’elle est censée survivre à ceux qui la composent aujourd’hui. Elohim est la « personne morale » représentative de la totalité du genre humain, de la totalité des humains déjà nés, non compris soi-même. Elohim nous est extérieur. Tandis que YHWH, au Nom imprononçable, représente tous les hommes déjà nés et à naître, y compris soi-même. YHWH nous inclut. « Écoute Israël, YHWH et Elohim ne font qu’UN ».
Le mot ETAT, en français, a quatre lettres, comme le Tétragramme Yod Hé Vav Hé, et ses deuxième et quatrième lettres sont identiques, le T pour Etat, le Hé pour YHWH. Au delà de cette analogie formelle, l’essentiel est que le mot Etat et le Tétragramme imprononçable sont chacun, dans leurs langues respectives, de la famille du verbe « Être ». YHWH est souvent traduit par « Celui Qui était, Qui est et Qui sera » avec force majuscules, et l’Etat, avec une majuscule, est en effet une personne morale qui non seulement préexistait à notre naissance et survivra à notre mort, mais dont une des fonctions est précisément d’enregistrer notre naissance et notre décès, et de développer toutes sortes de conséquences de notre venue au monde puis de notre présence dans notre famille et dans la société, et aussi tard que possible, de la gestion de nos restes, de notre héritage et de la trace, aussi ténue soit-elle, que nous laissons derrière nous.
Dans l’épisode du ”Buisson ardent” (Exode 3, 13-14), « Moïse dit à l’Elohim : “Or, je vais trouver les enfants d’Israël et je leur dirai: Le Dieu de vos pères m’envoie vers vous… S’ils me disent: « Quel est son nom? » (MH SMW, Mah Chemo?) que leur dirai-je ?”. Elohim dit à Moïse: “Je suis Celui Qui suis (AHYH ASR AHYH Ehyé Acher Ehyé), ” Et il ajouta: “Ainsi diras-tu aux enfants d’Israël: « Je suis » (AHYH, Ehyé) m’a envoyé vers vous.” (Voir A 31 : Je serai Qui Je serai)
Genèse 1, 27 : « Elohim crée l’Adam à son image, il le crée à l’image d’Elohim, il le crée mâle et femelle ».
René Descartes (1637) : « Je pense, donc je suis ». « Cogito ergo sum« .
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