Quatre billets de ce blog, de juin 2007, « Enquête sur Hérode« , accumulaient les arguments montrant, s’il en est besoin, que le « massacre des Innocents« , rapporté par l’Évangile de Matthieu (2, 16 à 18) et imputé au roi Hérode le Grand, loin d’avoir la moindre « consistance historique », est une entière « élaboration midrashique ». Voici un complément à cette démonstration.
En Deutéronome 26, Moïse faisant ses dernières recommandations aux enfants d’Israël avant leur entrée en Terre promise, leur prescrit – entre autres – de faire une déclaration qui résume l’histoire du peuple, depuis ses débuts jusqu’à ce jour où ils s’apprêtent à traverser le Jourdain. Les quatre versets correspondants sont donc repris et commentés chaque année dans la Haggadah lue pendant le Seder de Pessa’h.
Cette déclaration commence par trois mots énigmatiques : ארמי אבד אבי, ARMY ABD ABY, Arami Oved Avi, généralement traduits par « Mon père (était) un Araméen perdu » (ou « errant », ou « nomade »), ce qui peut s’appliquer à Jacob, ou mieux à Abram, avant qu’il ne devienne Abraham. Le verbe אֹבֵד, ABD, Oved, signifie « se perdre, être perdu », dans le sens fort de « périr ». Or la Haggadah le traduit par « faire périr », et applique le verset à Laban, le père de Léa et Rachel, double beau-père de Jacob, dans un parallèle saisissant avec Pharaon : « Considérons ce que Laban, l’Araméen, méditait de faire à Jacob, notre père : Pharaon, dans ses ordres cruels, ne visait que les enfants mâles, tandis que Laban voulait tout détruire, comme il est dit : ארמי אבד אבי, ARMY ABD ABY, Arami Oved Avi.
Il est de fait que les seuls « Arami » de la Torah sont Bethuel et Laban, père et frère de Rébecca (Genèse 25, 20). Mais on ne sache pas que Laban ait voulu perdre quiconque. Ce qui est en jeu, en Genèse 31, c’est l’héritage des femmes :
Genèse 31
14 Rachel et Léa répondirent, et lui dirent: Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père?
15 Ne sommes-nous pas regardées par lui comme des étrangères, puisqu’il nous a vendues, et qu’il a mangé notre argent?
16 Toute la richesse que Dieu a ôtée à notre père appartient à nous et à nos enfants. Fais maintenant tout ce que Dieu t’a dit.
(…)
43 Laban répondit, et dit à Jacob: Ces filles sont mes filles, ces enfants sont mes enfants, ce troupeau est mon troupeau, et tout ce que tu vois est à moi. Et que puis-je faire aujourd’hui pour mes filles, ou pour leurs enfants qu’elles ont mis au monde?
Laban ne reproche à Jacob que d’être parti sans l’avertir et de lui avoir dérobé des idoles (teraphim), que Rachel a en fait cachées sous son séant. Au verset 35, elle dit à son père : « Que mon seigneur ne se fâche point si je ne puis me lever devant toi, car j’ai ce qui est ordinaire aux femmes« , c’est-à-dire ses règles.
Les « teraphim » symbolisent le patrimoine génétique « araméen », venu de Laban, que Léa, Rachel et leur descendance, vont désormais transmettre de génération en génération, et que vont s’approprier, silencieusement, de façon patrilinéaire, les ‘ »Enfants d’Israël« . Quant aux règles féminines, elles portent en elles les enfants qui auraient pu naître et qui ne naissent pas, « massacrés » par le hasard des choses, une des manifestations divines.
Traduire « Arami Oved Avi » par « Laban l’Araméen voulait perdre mon père » est donc un « midrash », une exégèse, pratique fréquente du Targoum. Elle rend compte d’un massacre virtuel, comme celui des enfants mâles ordonné par Pharaon, dont réchappe Moïse … et comme celui des Innocents ordonné par Hérode, dont réchappe Jésus.
On comprend mieux pourquoi le texte de Matthieu 2 se réfère à une citation très particulière de Jérémie 31, 15 :
16 Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire, selon la date dont il s’était soigneusement enquis auprès des mages.
17 Alors s’accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie, le prophète:
18 On a entendu des cris à Rama, Des pleurs et de grandes lamentations: Rachel pleure ses enfants, Et n’a pas voulu être consolée, Parce qu’ils ne sont plus.
C’est bien de Rachel qu’il s’agit, Rachel de Rama, l’Araméenne.
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