5. Le sacrifice virtuel
Abraham a donc de quoi douter d’avoir jamais « connu » Sarah. Il est donc prêt à un désaveu de paternité. Quand Elohim (et non Adonaï) lui demande de lui « rendre » Isaac, de le sacrifier, il accepte. Ce faisant, il reconnaît ainsi la divinité dont il tient l’enfant. Comme celui-ci, au verset 22, 7, l’appelle ABY, abi, « mon père », et que lui répond BNY; béni, « mon fils », ils se sont aussi reconnus mutuellement.
Le couteau est l’instrument commun à la circoncision et au sacrifice. Quand il lève son couteau, Abraham « se souvient » avoir circoncis Isaac et avoir alors reconnu le fils de Sarah, son épouse légitime, comme son fils légitime. L’ange d’Adonay (et non celui de Elohim) lui crie alors de « ne pas étendre sa main ». La paternité psychologique se fonde dans le secret de la conscience. L’ascendance généalogique, y compris royale, établie à coup de registres, est une convention sociale, qui n’emporte jamais aucune certitude biologique. L’important pour être père n’est pas tant de « faire » un enfant que de le reconnaître, devant témoin ou par un acte certifié.
En Genèse 22, verset 1, c’était Elohim qui éprouvait Abraham en lui demandant de sacrifier Isaac. Mais Abraham, après avoir réussi l’épreuve, reçoit au verset 18 les félicitations, non plus d’Elohim, mais de Adonay. Cette fois c’est Dieu qui a changé de nom ! Voyons cela : « parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te bénirai, je multiplierai ta semence comme les étoiles du ciel, comme le sable sur les lèvres de la mer. Toutes les nations de la terre (Kol Goyé Haarets) se bénissent en ta semence parce que tu as entendu ma voix ».
En quoi la première intention d’Abraham, celle de sacrifier son fils, est-elle source de bénédiction ? Parce que nous parlons d’une Alliance, et qu’une Alliance a deux partenaires. A qui un père déclare-t-il un fils, quand il va le reconnaître au bureau de l’état civil ? À un fonctionnaire ? Ou bien à une nation, à un pays, à un État ? Un État assure protection à ses citoyens mais leur demande en retour, non seulement de respecter les lois et de payer leurs impôts, mais aussi d’être prêts, dans des cas aussi rares que possible, à prendre le risque de « mourir pour la patrie ». L’Alliance d’Abraham engendre les nations, et non pas les religions.
Avec cette reconnaissance, ce ne sont ni le père, ni le fils qui changent, c’est l’État, qui s’est enrichi d’une recrue supplémentaire. Ce qui change aussi, c’est le regard que le Père et le Fils jettent sur cet Etat. Sur un État étranger, auquel vous ne devez ni impôt, ni service militaire, vous ne portez pas le même regard que celui que vous portez sur celui où vous votez, votre pays, votre nation, votre patrie. Abraham sacrifiant Isaac, ou plus précisément « ligotant » Isaac (les rabbins ne parlent pas du sacrifice d’Abraham, mais de la ligature d’Isaac), c’est son Altesse votre Père déclarant votre naissance à l’état civil. Vous êtes coincé, vous êtes ligoté !
Quant à Ismaël, qui, lui, n’a pas eu droit à la même procédure, il est en droit de s’écrier, comme tous les enfants « nés de père inconnu », c’est-à-dire d’un père qui n’est pas venu le déclarer à l’état civil, qu’ils soient nés de femmes violées ou plus banalement, de jeunes filles « séduites et abandonnées », « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Ce que le Psaume 22 et Jésus sur la croix transformeront, comme on sait, en « Eli, Eli, mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
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