ADoNaï et l’ADN
Ismaël est le fils naturel d’Abraham. Sa naissance survient après qu’Abraham ait « connu » Agar (Genèse 16, 4). Mais Isaac ? Nulle mention de rapport entre Abraham et Sarah ne précède sa conception. Cette différence entre la filiation biologique, naturelle, et la filiation juridique, reconnue, inspire l’Épître aux Galates, chap. 4, qui met les Chrétiens du côté d’Isaac (traduction Chouraqui) :
22. Il est écrit qu’Abrahâm eut deux fils,
un de la servante, et un de la femme libre, par la promesse.
(…)
28. Or, vous-mêmes, frères,
vous êtes les enfants de la promesse, selon Is’hac.
(…)
30. Mais que dit l’écrit ? « Chasse la servante et son fils !
Non, certes, le fils de la servante
n’héritera pas avec le fils de la femme libre. »
De la circoncision au registre
Or Isaac est le premier garçon circoncis au huitième jour ; la circoncision à cet âge est le signe de l’ »Alliance d’Abraham ». L’adulte circoncis constate sa circoncision mais ne peut se souvenir de cette opération. Qui la lui a infligée ? Un témoignage est nécessaire. C’est pourquoi celle-ci a lieu devant dix témoins adultes. L’institution du miniane, la nécessité de la présence, pour assurer la continuité de la société, des Dix Justes qui auraient pu sauver Sodome, a précisément lieu au chapitre 18 (22-33) de la Genèse, après l’annonce faite à Abram et Sara, au chapitre 17, avant la naissance de leur fils, au chapitre 21.
Le rapport sexuel, que prouve l’ADN, ne fonde donc pas la paternité sociale, la paternité reconnue. Dans la Torah, c’est la circoncision par le père, au huitième jour de l’enfant, devant dix témoins adultes qui la fonde. Dans l’Église, ce sera le baptême par le prêtre, devant le parrain, « au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». En France, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts, c’est l’inscription au registre paroissial, devenu municipal sous la République, dont l’authenticité est garantie par le Juge en son Tribunal, forme civile du miniane.
Changements de nom
Abram, c’est AB-RM. AB veut dire Père, et RM veut dire Haut. « Père Haut », cela ne veut pas dire grand chose. «Père élevé », c’est déjà plus éclairant, d’autant qu’il s’agira de comparer Isaac, qui sera bien élevé, à Ismaël, qui sera mal élevé, parce qu’abandonné voire chassé, c’est-à-dire pas élevé du tout. Une traduction possible d’ABRM est « Son Altesse le Père ».
Ce serait une belle leçon à faire, pour nos instituteurs et professeurs, que de faire remarquer à leurs élèves combien le nom d’une personne est chose relative et dépend de qui appelle qui. Ne dit-on pas de celui qui accède à telle fonction, publique ou privée, qu’il vient d’être « nommé » ceci ou cela ? Autrement dit, il change de nom, comme le font de façon plus spectaculaire encore les souverains ou les papes accédant au trône, ou encore Bonaparte qui devient Napoléon. Pour le commun des mortels, le changement de nom accompagne un changement de statut social ou familial, et ceci ne concerne pas seulement les femmes qui prennent le nom de leur mari le jour de leur mariage. Chaque Père fut d’abord appelé Fils. Je me suis moi-même appelé successivement Michou, Michel, Michel Lévy, Papa et plus récemment Papy.
Le changement de nom d’Abram en Abraham, ABRHM, intervient dès Genèse 17,5 quand celui-ci apprend qu’il va devenir l’ancêtre d’une multitude, non pas de religions, mais de nations (GWYM, Goyim). Abraham n’est pas là pour seulement devenir père, ni même pour fonder une dynastie, il est là pour affirmer un principe universel : la nation – la « patrie » – l’Etat – commence avec Isaac, à la reconnaissance de paternité.
« Des rois sortiront de toi », précise d’ailleurs explicitement le Seigneur à Abraham, au verset 6. Le principe héréditaire est au fondement de la continuité des nations : le fils reconnu hérite du père reconnu, y compris s’il s’agit du trône. « Le roi est mort, vive le Roi ». Au verset 15, un changement de nom analogue concernent aussi la mère :
15 Elohym dit à Abraham : « Ta femme Saraï, tu ne l’appelleras plus Saraï, SRY, mais son nom est Sarah, SRH.
16 Je la bénirai et je te donnerai d’elle un fils; je la bénirai, elle deviendra des nations, et des rois de peuples sortiront d’elle. » »
Le Prince héritier est le fils de la Reine légitime, ce qui entraînera d’inlassables réclamations de la part d’Ismaël, le fils naturel, à propos de l’héritage dont il s’estime spolié.
En Genèse 22, 1, Elohym éprouve Abraham en lui demandant de sacrifier Isaac. Mais Abraham, après avoir réussi l’épreuve, reçoit au verset 18 des félicitations de la part de YHWH, qu’on prononce Adonaï. Cette fois c’est Dieu qui a changé de nom !
Se sacrifier pour sa patrie
Abraham est comme un père qui déclare son fils à l’état civil. Une Alliance a deux partenaires. A qui un père déclare-t-il un fils, quand il va au bureau de l’état civil ? À un fonctionnaire ? Ou bien à une nation, à un pays, à un État ? Un État assure protection à ses citoyens mais leur demande en retour, non seulement de respecter les lois et de payer leurs impôts, mais aussi d’être prêts, dans des cas aussi rares que possible, à prendre le risque de « mourir pour la patrie ». L’Alliance d’Abraham fonde la nation, et non la religion. Par elle, le père consent un sacrifice hypothétique, puisqu’en cas de guerre, le dit fils pourra être mobilisé au service de l’Etat et possiblement « mourir pour la patrie ». L’État est bel et bien un Être transcendant, «qui transcende» les individus successifs qu’il enregistre et qui le composent, au péril de leur vie.
Avec cette déclaration, ce ne sont ni le père, ni le fils qui changent, c’est l’État, qui s’est enrichi d’une recrue supplémentaire. Plutôt, ce qui change, c’est le regard que le Père et le Fils jettent sur cet État. Sur un État étranger, auquel vous ne devez ni impôt, ni service militaire, vous ne portez pas le même regard que celui que vous portez sur celui où vous votez, votre pays, votre nation, votre patrie. Abraham sacrifiant Isaac, ou plus précisément ligotant Isaac, c’est son Altesse votre Père déclarant votre naissance à l’état civil. Vous êtes coincé, vous êtes ligoté ! Les Rabbins ne parlent pas du « sacrifice d’Abraham » – tous les fils ne meurent pas à la guerre, D’ merci – mais de la « ligature d’Isaac » – tous les fils peuvent être mobilisés.
Quant à Ismaël, qui, lui, n’a pas eu droit à la même procédure, il est en droit de s’écrier, comme tous les enfants « nés de père inconnu », qu’ils soient nés de femmes violées ou plus banalement, de jeunes filles « séduites et abandonnées », « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Ce que le Psaume 22 et Jésus sur la croix (Matthieu, 27, 46) transposent, comme on sait, en « Eli, Eli, mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ».
On rira
Isaac, lui, ne change jamais de nom, fixé dès avant sa naissance. Quand ce nom apparaît, en Genèse 17,19, il est cité sans commentaire « Tu appelleras son nom Its’haq », « On rira ». En effet, la constatation qu’une femme est enceinte est une joyeuse nouvelle universelle, en général confirmée, en cas d’heureuse naissance, par la formule « Abraham et Sarah ont la joie d’annoncer la naissance d’Isaac ».
Mais le rire lui-même peut prendre toutes sortes de significations. L’incrédulité de Sarah, qui a 99 ans et qui est ménopausée, est bien connue. Il y a aussi le rire de la moquerie, celui d’Ismaël, au verset 21, 9 : Sarah voit Ismaël rire. Ismaël imite Isaac, le singe, le ridiculise. C’est que les moqueurs ont bien des raisons de mettre en doute les filiations officielles. On traduit alors Its’haq par « On rigolera » : si une femme annonce à son mari qu’elle est enceinte, tout le monde rit, se réjouit ; mais si une fille annonce à son père qu’elle est enceinte, tout le monde rigole, se moque et demande : « De qui ? ».
Feu l’amendement Mariani relevait du blasphême. Il doit être pris à la rigolade, avec humour (juif). Comme dit Roberto Benigni, La vita è bella.
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