Des Français pour la France
« Immigration et Identité nationale », qu’en aurait dit Alfred Sauvy ? Sans doute aurait-il trouvé acceptables les deux intitulés du ministère proposé par Nicolas Sarkozy. Mais on peut gager qu’il aurait fait remontrance au candidat quant à leur réunion. Regrouper les services compétents sur l’immigration est sûrement nécessaire. Mais, aurait-il fait observer, l’identité nationale, cela concerne certes les immigrés, mais cela concerne aussi les enfants nés en France. En ce sens, elle relève du ministère de l’Education nationale : un secrétaire d’Etat à l’Identité nationale rattaché à ce ministère pourrait être chargé, par exemple, de l’organisation et du contenu des enseignements d’histoire et d’instruction civique et morale, ainsi que de la généralisation progressive, jusqu’à le rendre obligatoire, du service civique national.
L’important est ailleurs, aurait-il soutenu. En 1945, lui et le pédiatre Robert Debré avaient publié « Des Français pour la France » (Gallimard), livre issu des travaux du Conseil national de la Résistance, dont on a surtout retenu l’orientation nataliste. Mais le projet prévoyait aussi un “ministère de la Population” pour piloter la Sécurité sociale, alors en gestation. Décidant à la fois des cotisations et des prestations maladie, vieillesse et famille, il aurait géré un véritable budget de la Sécurité sociale, sous le contrôle du Parlement et grâce à l’expertise de deux « Instituts nationaux ». Le premier, « d’études démographiques », devait être centré sur la gestion du vieillissement de la population et de l’immigration, les « dadas » de Sauvy, l’autre dit « d’Hygiène », organisant la surveillance épidémiologique et la lutte contre les fléaux sociaux, en particulier alcoolisme et maladies infectieuses, préoccupations de Robert Debré.
Les vicissitudes politiques firent qu’une partie seulement de leur programme fut remplie. La France se dota d’institutions natalistes – impôt progressif sur le revenu doté du “ quotient familial ” – généreuses allocations familiales pour les « familles nombreuses ». Mais le souci du ministère des Finances de ne pas partager son pouvoir financier et la méfiance que suscitait l’hégémonie du syndicat communiste, la CGT, empêchèrent de doter la Sécurité sociale d’une gouvernance sérieuse. L’INSEE, l’INED et l’INSERM furent cantonnés à des fonctions académiques. Leurs avertissements, même portés par l’éloquence acerbe de Sauvy, restèrent peu audibles tant du public que du pouvoir politique. Ce qui tient lieu de « budget de la Sécurité sociale » fit alors l’objet de marchandages entre technocraties administratives, syndicales et médicales, aboutissant à des retenues à la source indéfiniment croissantes, porteuses de l’inflation qui finit par avoir raison de la Quatrième République, puis du chômage qui est en passe d’épuiser la Cinquième. Il y a là un véritable « péché originel » .
Le futur Président serait donc bien avisé de doter enfin le ministère de tutelle de la Sécurité sociale, quel que soit son nom, de moyens modernes de pilotage. Cela pourrait passer par l’organisation périodique d’un recensement des assurés sociaux – travailleurs et « ayant-droit », français et étrangers – et par la création de répertoires régionaux des ménages, croisant sous le contrôle de la CNIL, les informations détenues par les caisses maladie, vieillesse, famille – et chômage.
Ceci serait organisé pour :
– simplifier les formalités administratives et l’accès aux prestations sociales,
– soumettre aux Assemblées locales, régionales et nationales des comptes et des budgets clairs, de façon que la presse et le public puissent en suivre intelligemment les débats et les campagnes électorales,
– produire enfin une information démographique et statistique élaborée, mise à la disposition du corps enseignant et des relais médiatiques et informatiques, pour la documentation et l’instruction civique et morale des futurs citoyens.
Ce projet obtiendra l’assentiment de la population, une fois qu’elle en aura compris le bien-fondé. La transparence des répertoires, c’est-à-dire la possibilité pour chacun d’en vérifier le contenu et de le corriger au besoin, dédramatisera utilement l’usage des fichiers informatiques, qui pourront devenir enfin, si l’affaire est bien conduite, aussi familiers qu’aujourd’hui celui des registres d’état civil.
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