Abraham, ŒŒdipe et Ismaël

Un peu d’anthropologie

Aucun homme n’est jamais conscient d’avoir engendré un enfant. A fortiori, si une femme avec qui il ne souvient pas avoir couché lui demande de reconnaître « le fruit de ses entrailles » (cas du regretté Yves Montand), il rigole.

Or la Bible ne précise jamais qu’Abraham ait couché avec Sarah. Au contraire cela est certifié pour Agar : Ismaël est donc un fils « naturel ». Quand les anges annoncent que Sarah est enceinte, tout le monde rigole, d’où le nom d’Isaac, Its’haq, « il rigole », « il fait rigoler ».

De même quand Abraham et Sarah présentent leur fils Isaac, tout le monde rigole, à commencer par Ismaël, au point qu’Abraham doute de son rapport avec Sarah et qu’il est prêt à un désaveu de paternité. Ne pas reconnaître un fils, c’est le priver d’identité, donc d’existence aux yeux de la société, c’est l’immoler. Quand Elohym lui demande de lui « rendre » Isaac, de le sacrifier, il accepte. Ce faisant, il reconnaît ainsi Celui dont il tient l’enfant. Comme celui-ci l’appelle aby, « mon père », et que lui répond bény, « mon fils », ils se sont aussi reconnus mutuellement.


Le couteau est l’instrument commun à la circoncision et au sacrifice. Quand il lève son couteau, Abraham se rappelle avoir circoncis Isaac et avoir alors reconnu le fils de Sarah, son épouse légitime, comme son fils légitime. L’ange d’Adonay lui crie alors de « ne pas étendre sa main ».

La paternité psychologique se fonde dans le secret de la conscience. L’ascendance généalogique est une convention sociale, qui n’emporte jamais aucune certitude biologique. L’important pour être père n’est pas tant de « faire » un enfant que de le reconnaître, devant témoin ou par un acte certifié. Quel homme n’a jamais été contrarié par l’annonce d’une future paternité ?

Dans l’histoire d’Œdipe, celui-ci ne reconnaît pas son père Laios et le tue, ne reconnaît pas sa mère Jocaste et l’épouse, ne reconnaît pas sa fille Antigone, parce qu’il est aveugle et qu’elle est sa soeur. Dans l’histoire d’Abraham, celui-ci est simplement tenté de ne pas reconnaître son fils Isaac.

Aucun enfant n’a jamais demandé à naître, ni n’a jamais choisi ses parents. La protestation d’Ismaël, c’est celle des enfants déconsidérés, privés d’héritage, parce que considérés comme « bâtards », qui sont jaloux de leur frère reconnu comme héritier « légitime », alors que sa filiation leur paraît plus douteuse que la leur. Ainsi les Arabes s’estiment-ils privés de ce qu’ils revendiquent comme leur héritage, la terre de Palestine, alors que les droits des Juifs sur cette même terre, à coup de citations bibliques, leur paraissent fort mal établis.


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Commentaires

2 réponses à “Abraham, ŒŒdipe et Ismaël”

  1. Avatar de J.M.
    J.M.

    " L’important pour être père n’est pas tant de « faire » un enfant que de le reconnaître, devant témoin ou par un acte certifié."

    C’est le thème du dernier film de Wim WENDERS, Don’t come knocking avec un autre élément impondérable et incontrôlé: le fils, et là c’est une autre paire de…revendications.

    J.M.

  2. Avatar de Michel Louis Levy
    Michel Louis Levy

    D’où il résulte que le commentaire des épisodes bibliques devrait faire partie de l’éducation « laïque », c’est-à-dire de l’éducation tout court, et n’être pas réservé à l’éducation « religieuse ».

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