Plus de 200 000 immigrants par an

Pourquoi ne pas dire franchement ce qu’on sait ?

Le numéro 411 de Population & Sociétés (INED), par François Héran et Laurent Toulemon, s’intitule : « Que faire quand la population recensée ne correspond pas à la population attendue ? « 

Ce n’est pas une bonne idée. Le public d’enseignants et de journalistes de PopSoc n’a que faire des états d’âme des statisticiens et démographes confrontés aux résultats contradictoires de plusieurs sources et enquêtes. Il veut bien admettre toutes les imprécisions, incertitudes, réserves… qu’on voudra, mais il s’attend à ce qu’on lui donne pour chaque sujet la moins mauvaise estimation possible en l’état présent des connaissances. En l’occurrence, la question est celle du « solde migratoire » de la France métropolitaine, pour les années 1999 à 2003, à la lumière des résultats de la première vague d’enquêtes (2004) du recensement rénové.

Or PopSoc nous sert d’abord des considérations sur les soldes provisoires, estimés, corrigés, ajustés… accompagnées d’une « figure 1 », difficile à lire, qui donne l’impression que le « solde apparent, plus ajustement », a dépassé 100 000 en 2000, et atteint 130 000 en 2003. Tout cela débouche sur un alinéa sybillin : << l’Insee a réévalué le solde migratoire jusqu’à le doubler en 2003 (un peu plus de 100 000 par an au lieu de 50 000). Il faut le rappeler, il s’agit d’un solde (entrées moins sorties), à ne pas confondre avec un flux annuel d’entrées, nécessairement plus important (entre 150 000 et 210 000, selon qu’on laisse de côté ou non les étudiants) >>

Suit ici une référence (7) à un article paru il y a quelques mois dans Population, la revue scientifique de l’INED :
Xavier THIERRY : « Evolution récente de l’immigration en France et éléments de comparaison avec le Royaume-Uni » Population, INED, n° 5/2004, p; 725-764.

Xavier Thierry écrit (p. 757 ) : << L’immigration augmente depuis la fin des années 1990 et a franchi en 2002 le seuil des 200 000 >>. Le tableau 1, p. 729, donne 206 000 en 2002 pour « l’admission de long terme », y compris les mineurs (17 000, tableau A1) et les étudiants (56 000, tableau A2). « Immigration » ou « Admission de long terme » ? Là est l’essentiel.

Xavier Thierry exploite une « nouvelle source statistique » qu’il présente dans un encadré p. 726-727. << Depuis 1994 (…) chaque préfecture est connectée à un registre national centralisé dénommé AGDREF (Application de gestion des ressortissants étrangers en France)., ce qui permet
1) d’éviter les doubles comptes (…)
2) de recueillir les données de façon identique dans toutes les préfectures (…)
Le champ couvert par le ministère de l’Intérieur permet de mettre en oeuvre, au moins pour les personnes majeures, la définition de l’immigration préconisée par les organisations internationales : sont immigrants de long terme les ressortissants étrangers nés à l’étranger qui s’installent pour une durée d’au moins un an (…)
Cette série, reconstituée à partir de 1994, recense l’ensemble des étrangers admis à un séjour régulier en métropole, pour une durée supérieure ou égale à un an, quels que soient leur nationalité, leur âge, leur situation familiale ou professionnelle. (…) Elle ne comptabilise pas les étrangers de passage, les travailleurs saisonniers, les demandeurs d’asile en instance de décision, les étrangers en situation irrégulière qui ne font aucune démarche auprès des préfectures, etc.
La France n’est pas en mesure de comptabiliser les mouvements de Français, ni l’ensemble des flux d’émigration ( sorties du territoire ). Le solde migratoire estimé par l’Insee ne peut donc qu’être approximatif. >>

Pourquoi ne pas faire observer que si le flux d’immigration est supérieur à 200 000 et le solde migratoire supérieur à 100 000, alors le flux annuel de sorties est de l’ordre de 100 000 personnes ? Parce que le premier chiffre porte sur 2002, et le second sur 2003 ? Parce que les « immigrants » sont des étrangers admis pour un an ou plus, alors que le « solde migratoire » est censé porter sur les résidents, français ou étrangers ? Mais les spécialistes sont précisément là pour cela, pour démêler les complexités de chaque problème.

A moins qu’il soit difficile d’avouer l’importance retrouvée du flux annuel d’immigration ? Sachez pourtant que (XT, p. 757 et tableau A3) << les cinq premières nationalités des personnes admises au séjour pour une durée d’au moins un an sont par ordre décroissant les Algériens (27 900 en 2002), les Marocains (26 200), les Britanniques (9400), les Tunisiens (8990) et les Chinois (8970) … >>

Deux remarques pour finir :
1) L’efficacité du fichier AGDREF est un argument de poids en faveur des répertoires informatisés de personnes, utilisant, sous le contrôle de la CNIL, un « numéro national d’immatriculation ».
2) Je n’ai pas eu tort de reproduire ici les articles de Michèle Tribalat (13 février) d’une part, de Michel Godet et Jean-Paul Sardon (1er mars) d’autre part.


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