Ceci est le prologue d’un ouvrage de 25 chapitres intitulé
La Révélation. Comment Moïse entreprit la Bible .
Au commencement, Moïse ne s’appelait pas Moïse. Ce nom ne fut le sien qu’au soir de sa vie politique, quand lui et ses compagnons du parti monothéiste se distribuèrent, comme pour les rôles d’une pièce de théâtre, les personnages du livre – ou plutôt, du rouleau – que nous appelons en français l’Exode et que les monothéistes d’aujourd’hui appellent en hébreu Chemot, les Noms. Il y eut Moïse, il y eut aussi Aaron son frère, Myriam sa sœur, Josué fils de Noun, son lieutenant et successeur, Séphora sa femme, qui était éthiopienne, et d’autres…
Au commencement, Moïse était appelé par l’équivalent égyptien d’« Enfant du Nil ». On lui avait raconté, dès qu’il fut en âge de le comprendre, qu’il avait été trouvé, en des temps de misère et de persécution, flottant dans son berceau sur le Nil ; Pharaon l’avait donné à l’une de ses filles, qui n’avait pas eu d’enfant, ayant par malheur perdu son mari au lendemain de ses noces ; elle eut dès lors la joie de s’entendre appeler « Mère » par ce jeune garçon au regard clair. Il reçut l’éducation des nombreux princes de la famille de Pharaon, formés tant à l’art de la guerre qu’à celui des savantes gravures sacrées auxquelles nous donnons le nom grec d’hiéroglyphes. Il apprit la géométrie que pratiquaient les fonctionnaires du cadastre, pour que les paysans récupèrent après chaque crue du Fleuve la parcelle de terre que leur louait Pharaon. Il fut initié à l’astronomie, celle du Soleil, de la Lune et de quelques étoiles, celle des prêtres qui annonçaient les crues et fixaient les dates des célébrations rituelles. Il apprit aussi quelques rudiments de médecine : il connut les préparations qui soulagent les ulcères et démangeaisons, celles qui nettoient les plaies, il sut nouer les garrots qui arrêtent les hémorragies, faire du bouche à bouche à un noyé, assister les femmes en couches et aussi préparer un corps pour l’embaumement.
Nous ne savons des détails de sa jeunesse que ce qu’il a bien voulu en dire dans l’Exode. Nous ignorons en particulier si l’épisode où Moïse tue le contremaître égyptien qui martyrise l’esclave hébreu, puis sa fuite vers le Sud en remontant le Fleuve jusqu’au pays de Modian, la rencontre de Séphora, la naissance de leur fils aîné Gerchom – tout comme ultérieurement la traversée de la Mer Rouge, la montée au Sinaï et ses dialogues avec YHWH, béni soit le Nom – nous ignorons si ces épisodes sont issus de ses souvenirs, s’ils en sont adaptés ou s’ils résultent de quelque nécessité du récit. Toujours est-il qu’au moment où commence cette histoire, le futur Moïse occupait le poste fort envié de précepteur du Fils du Prince héritier ; jusqu’à sept ans, les petits princes étaient élevés par les femmes. Conformément à la coutume, il porterait désormais le nom de sa fonction : « Précepteur du Petit-Fils ».
Il avait d’abord été étonné que sa candidature ait été préférée à celle de princes à la filiation certaine et au mariage flatteur, alors que son état d’enfant adopté et l’origine de son épouse étaient connus de tous. Peut-être, pensa-t-il d’abord, avait-il bénéficié de la réputation de bon élève qu’avaient en général les enfants de familles immigrées admis à faire des études. Puis il comprit que cette faveur imprévue dissimulait un piège : l’enfant qui lui avait été confié était quelque peu déséquilibré, bégayant, fondant en larmes pour des peccadilles et en proie à de rares mais impressionnantes crises d’épilepsie. Cette difficulté n’était pas pour lui déplaire. Rien ne l’intéressait plus que l’âme humaine. Il prit l’habitude d’interroger le Prince doucement, par questions espacées, préfigurant ainsi nos modernes psychanalystes.
Il fut rapidement sur la piste. Alors que lui, le Précepteur, ignorait qui étaient ses parents biologiques, son élève ne le savait que trop : selon la règle pharaonique, qui voulait préserver l’essence divine de la lignée, ses parents étaient frère et sœur, et même, dans ce cas particulier, frère et sœur jumeaux…
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