Notice parue dans Passages, n° 138/139, octobre-novembre 2004, p. 29
Les lecteurs de Passages qui en ont conservé le numéro 99, novembre 1999, peuvent y voir annoncé sur la couverture :
»Du psaume 137 à Auschwitz :
La poésie ne meurt jamais
La bibliothèque de Georges Himelfarb »
A l’intérieur, p. 50-51, une double page. Sous le titre Le livre de la Tradition et de la Tristesse, un poème poignant, en strophes de six alexandrins
Je songe à mon Seigneur mais il ne revient pas
Le sol s’emplit de sang et s’abreuve de graisse …
On tourne la page, surprise ! Le même poème, mais chaque vers est signé d’Isaïe, d’Homère, de Ronsard, de Claudel… ou d’autres poètes aux noms étranges et exotiques. Un seul vers est signé Himelfarb :
Caillots chauves et gris masquant les nébuleuses
Comme beaucoup d’auteurs cités n’écrivaient pas en alexandrins, ni même en français, c’est que l’auteur a retravaillé les originaux. On songe alors à l’Oulipo (ouvroir de littérature potentielle), à Raymond Queneau, à Georges Perec. La préface de Sigles et acronymes , dictionnaire de 630 pages dû à Georges Himelfarb et paru chez Belin en 2002, s’intitule « Exercice de style » et est dédiée « aux regrettés Raymond Queneau et Georges Perec ».
Georges Himelfarb, professeur d’histoire et géographie, est prématurément décédé le 11 juin dernier. Il était né à Lille en 1934, de parents « réfugiés polonais » de 1933. Son père était l’un des benjamins d’une famille de dix-neuf enfants pour la plupart restés à Varsovie, d’autres émigrés. La plupart de ses oncles, tantes et cousins disparurent, les uns vraisemblablement dans la révolte du ghetto ou le soulèvement de la ville, les autres ailleurs en Europe, dans les tourmentes de la guerre et de la Shoah. Ses parents, devenus colporteurs puis marchands de tissus dans le Pas-de-Calais, peuplé alors de tant d’ouvriers polonais, furent traumatisés par les combats de Dunkerque de 1940. Dépouillés de leurs biens, compromis par leur fort accent et leur inexpérience de la France, ils gagnèrent Lyon, où l’enfant de sept ans, comme Anne Frank, fut caché au fond d’une alcôve, puis chez des prêtres lazaristes. Une émigration périlleuse en Suisse lui donna un peu de bonheur. Confié à des paysans de l’Oberland bernois, qui mirent un point d’honneur à le faire initier à la religion juive, il y apprit l’allemand et déjà s’éprit d’histoire.
Les tribulations reprirent en 1944. Séparé de ses parents, il entre en 1947 à l’Ecole Maïmonide, où Valentin Nikiprowetzki est son professeur de français. Après un passage au lycée Chaptal, il entreprend des études d’histoire et d’allemand en Sorbonne, y rencontre sa future épouse et est nommé en 1959, pour un simple remplacement, au petit lycée de Dourdan : il y demeura toute sa carrière, ne prenant sa retraite, malgré une santé précaire, qu’à l’âge de 63 ans. Il put se consacrer alors à ses travaux poétiques et encyclopédiques. Après Sigles et acronymes, cité plus haut, il préparait un autre dictionnaire sur « Les mots de la guerre et de la paix ». Son œuvre poétique reste largement inédite. Passages n° 99 et Aujourd’hui Poème, janvier 2003, sont des exceptions. On trouvera ci-après (p. 140) un autre extrait de La Bibliothèque d’Auschwitz-Alexandrie, intitulé « L’Outil de Thot ».
En bon professeur d’histoire et géographie, il était un utilisateur fidèle de Population & Sociétés. Il prit contact avec moi à l’INED, peu avant sa retraite. Commença alors une correspondance de quelques années, qu’on peut qualifier de littéraire. Nous rapprochaient notre souci pédagogique du sens précis des mots, et notre intérêt commun pour la Bible hébraïque et pour l’Histoire de France. Chacun profitait des connaissances et de l’expérience de l’autre.
Je n’ai jamais rencontré Georges Himelfarb. Mais je peux certifier que les générations d’élèves du lycée de Dourdan ont bien de la chance d’avoir eu un tel Professeur.
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