La fécondité de Bernard Dubourg
Dans l’entretien publié dans le numéro 23 de Ligne de risque, intitulé “Il faut parler dans toutes les langues“, Philippe Sollers revient sur L’invention de Jésus, de Bernard Dubourg, qu’il eut le grand mérite de publier en 1987. Il montre l’importance de cet auteur : « Ses livres mettent en évidence une découverte révolutionnaire … Il s’agit d’un événement considérable… »… Mais il montre aussi le peu de retentissement qu’eut cette publication : « La découverte de Dubourg a tout de suite fait l’objet d’un enfouissement absolu. Personne ne voulait en entendre parler. En tant qu’éditeur, je me rappelle cette surdité générale. » Et il explique : « Le livre de Dubourg a dû faire face à la coalition de toutes les ignorances. L’ignorance “chrétienne” n’a plus à être démontrée. L’ignorance scientiste l’accompagne. Mais il y a aussi l’ignorance juive. (…) Il y a incompatibilité entre le midrash évangélique et le midrash rabbinique. Où se trouve la vérité du judaïsme ? Quel sens véritable a la Thora ? Les procédures du commentaire sont ici et là les mêmes, mais les deux commentaires s’opposent. Là aussi, il faut donc enfouir. Enfouissement chrétien, enfouissement scientiste, enfouissement juif. (…) Les obscurantismes chrétiens, juifs et scientistes se soutiennent mutuellement ».
Nous fûmes quelques-uns à ne pas nous résigner. Tandis que Stéphane Zagdanski rendait hommage à Dubourg dans « L’impureté de Dieu », que Lionel Rocheman s’avisait que chaque grotte recélant des Manuscrits de la Mer Morte était une « Guénizah » qui recueillait – pour ne pas les détruire – les parchemins contenant le Tétragramme, Maurice Mergui fondait une petite maison d’édition, les Nouveaux Savoirs (aujourd’hui Objectif Transmission, OT), publiant le Midrash Rabba bilingue, et des essais, les siens pour commencer, sur la parenté des textes évangéliques et midrashiques. Avec mon fils aîné, Jean-Claude, il publia une édition bilingue sur CD-Rom de la Bible de Jérusalem, dotée du logiciel WebCodex, avec moteur de recherches français et hébreu, porté depuis sur les sites Sefarim d’Akadem, et Judéopédia. Avec Sandrick Le Maguer, il réunit à Etel (Morbihan), en 2005, un club de convaincus qui forma le noyau du site internet « Le champ du midrash ». On ne dira jamais assez d’ailleurs l’importance de la révolution informatique, et du développement simultané d’Internet, de Google, de Wikipedia…
La conservation de l’ordre alphabétique
À la toute fin des deux tomes de L’Invention de Jésus, Dubourg livre l’explication suivante : si Paul est « renversé » sur le « chemin de Damas » (Damascus), c’est que DMSQ, Demecheq, est l’anagramme exact de MQDS, Miqdach, le Sanctuaire : Damas, c’est le Temple « bouleversé », comme dans les mots croisés. Dans le livre, le S commun à DMSQ et MQDS est surmonté d’un « tilde ». La note du début de volume précise, remarque essentielle, que « seule la graphie des termes sémites est prise en compte, et non leur vocalisation ». Mais la « translittération » lettre à lettre de Dubourg ne s’abstrait pas complètement de la phonétique. «Aleph » (1ère lettre de l’alphabet hé-breu) et « ‘aïn » (16ème), consonnes inaudibles, sont toutes deux rendues par des apostrophes de formes différentes ; « hé » (5ème) et « ‘heth » (8ème) sont rendues par des H, la seconde étant distinguée par un point inférieur ; « teth » (9ème) et « taw » (22ème) par des T, la seconde distinguée par un point inférieur ; enfin « samekh » (15ème), « tsadé » (18ème) et « shin » (21ème) par des S, la seconde distinguée par un point inférieur, la troisième par un « tilde ».
Ces ambiguïtés rendent difficile la compréhension des raisonnements de Dubourg faisant appel à la guématrie et autres jeux de lettres. Pour les réduire, je m’avisais de la fabuleuse continuité de l’ordre alphabétique qu’établissent archéologues et historiens de l’écriture : on dispose, paraît-il, d’ « abécédaires » en paléo-hébreu, datant d’une bonne douzaine de siècles avant l’ère chrétienne : William G. Dever en présente un, à la p. 94 de l’édition française de « Aux origines d’Israël » (Bayard, 2005). Les alphabets hébreu et grec commencent tous deux par la séquence ABGD, devenue ABCD dans notre alphabet, ce qui conduit à rendre le « aleph » par un A ; les alphabets hébreu, grec et latin contiennent tous trois les séquences KLMN et QRST, à condition de réserver S et T pour les dernières lettres de l’alphabet hébreu, « shin » et « taw ». J’attribuais, après divers tâtonnements, tel caractère à chaque lettre non pourvue. L’alphabet hébreu devient alors :
A B G D H W C E t (rangs et valeurs guématriques 1 à 9)
Y K L M N X O F Z (rangs 10 à 18, valeurs guématriques 10 à 90)
Q R S T (rangs 19 à 22, valeurs guématriques 100 à 400)
Dans ce système, le Tétragramme s’écrit YHWH. ABD et KLMN ont les mêmes rangs que dans l’alphabet latin : 1, 2, 4 et 11, 12, 13, 14. La séquence QRST est conservée, mais aux rangs 19 à 22. G, 7ème lettre de l’alphabet latin, transcrit guimel, 3ème lettre de l’alphabet hébreu, et C, 3ème lettre de l’alphabet latin transcrit zayin, 7ème lettre de l’alphabet hébreu. Z transcrit tsadé, conformément à sa prononciation en allemand. Comme H, 8ème lettre de l’alphabet latin, transcrit Hé, 5ème lettre de l’alphabet hébreu, alors E, 5ème lettre de l’alphabet latin transcrit ‘het, 8ème lettre de l’alphabet hébreu. ‘Ayin, qui signifie “œil”, est transcrit par Œ. Samekh est transcrit par X et pé par F, de façon que YWXF transcrive Yossef, Joseph, et XFR transcrive Sefer, livre. Reste t, seule minuscule, qui transcrit teth.
Dans un essai fulgurant, Babel, la langue promise (BibliEurope, 1999), Alain-Abraham Abehsera faisait remarquer que « la Bible hébraïque est suite pure de consonnes, dénuée de toute voyelle, privée de toute ponctuation et virgule, d’accents ou de tons, une immense phrase (…) dont la plupart des mots peuvent être lus et prononcés de différentes manières.… » d’où une multitude de « traditions orales » fondées sur des prononciations différentes. Abehsera, médecin ostéopathe adepte de médecines douces, qui ignore Dubourg mais utilise une translittération proche de la sienne, met le doigt sur diverses proximités entre l’hébreu et les langues occidentales, qu’il explique par les « métaphores universelles » de la biologie humaine, animale et végétale, de la sexualité et de la procréation. La pratique de la translittération de Dubourg amendée est alors justifiée et se révèle d’une prodigieuse fécondité : outre qu’elle permet au plus grand nombre, ignorant de l’hébreu, d’accéder à la lettre des textes bibliques, elle met en évidence ces proximités insoupçonnées. En voici quelques exemples.
De Shibboleth à la Shulamite
Au chapitre 12 du Livre des Juges, le verset 6 énonce :
AMR-NA SBLT WYAMR XBLT
Èmar-na Shibbolet VayOmer Sibbolet
Dis-donc Shibboleth et il disait Sibboleth
Cet apologue tourne autour du verbe “passer”, en hébreu ŒBR, ‘Avar, avec un ‘Ayin, qui a donné aussi le mot ŒBRY, ‘Ivry, hébreu. L’hébreu, c’est le passant – et le passeur. AŒBRH, A’èvorah, “Laissez-moi passer !” disent les Ephraïmites. Les “gués” du Jourdain, c’est MŒBRWT Ma’Èvrot, les “passages”. Quant à la prononciation de “Shibbolet”, c’est un “mot de passe”. Entre SBLT, Shibbolet et XBLT, Sibbolet, la différence porte sur le chine, transcrit S, prononcé “ch”, et le samek, transcrit X, prononcé “ss” : c’est comme si vous disiez Sabbat au lieu de Shabbat, SBT ; Salam au lieu de Shalom, SLWM ; Sem au lieu de Shem, SM . Vous avez dit “antishémite” ?
« Yom HaShishi », derniers mots de Genèse 1, « Jour le Sixième », se transcrivent YWM HSYSY ; le français « Six » viendrait-il de l’hébreu « Chich » ? et le français « Sept » de l’hébreu SBT, Shabbat ? SLWM, Shalom, ce n’est pas seulement la paix, c’est la plénitude ; SLM, shalem, c’est « plein, complet ». Ce sens explique le chelem du bridge et surtout l’obsession d’ « accomplir les Écritures ». Pour to slam, « écraser » en anglais, islam et musulman, qui connotent la soumission en arabe, je ne sais pas.
En hébreu comme en français, la “paix” est proche de la “paye”. SLM, Shelem, signifie “payer”. Or la paye, c’est ce qui « revient », comme le montre l’acception financière du mot « revenu ». Le Shabbat SBT aussi revient indéfiniment, construit sur la racine SWB, Shouv, « revenir ». On s’y « échange » la salutation Shabbat Shalom ! « Revenir en paix » (SWBY BSLWM, Shuvi BeShalom) est fréquent dans la Bible. C’est le souhait de Jacob après le rêve de l’échelle (Genèse 28, 21), dans lequel des anges vont et viennent. Cela explique l’injonction quatre fois répétée de SLMH, Shlomo, Salomon, à la Sulamite, Shoulamit, au verset 7,1 du Cantique des Cantiques :
Reviens, reviens, la Sulamite, reviens, reviens !
Shouvi, shouvi, haShoulamit, shouvi, shouvi
SWBY SWBY HSWLMYT SWBY SWBY
Qui est le Père ?
Une observation centrale de Dubourg est que ABN, Even, « pierre », se décompose en AB-BN, « père-fils ». La métaphore assimilant la conception d’un enfant à celle d’une maison, d’un bâtiment ou d’une idée est consubstantielle à l’hébreu biblique. En hébreu BN, ben, c’est “fils », BNH, boneh, c’est construire, BYNH, bynah, c’est l’intelligence. BT, bat, “fille”, est proche de BYT, bayt, “maison” (et de “bâtir” en français). Il y a dans la Bible hé-braïque d’innombrables assonances et allitérations qui jouent sur ces proximités et disparaissent à la traduction. Par exemple, celle-ci : Genèse 11,5 : « Et l’Eternel descendit pour voir la ville et la Tour que bâtissaient les fils de l’Homme (ASR BNW BNY HADM, “acher banou bené haAdame“) ». Le Nouveau Testament y fait écho : l’Évangile de Matthieu énonce (3, 9) : “Je vous dis que Dieu peut, de ces pierres, susciter des enfants à Abraham”, et (16, 18) : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon église ».
Le français use d’une métaphore comparable en donnant un double sens au mot « enceinte » et à l’expression « tomber enceinte ». Quand Josué, entrant en Canaan, envoie deux explorateurs reconnaître Jéricho, ceux-ci sont cachés par Ra’hab (REB, « large », comme on dit qu’une femme est « grosse »), la prostituée qui était « montée vers eux »…. Cette femme compte avec an-goisse les jours de retard de ses règles et les sonneries de trompette des Hébreux. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept… Le septième jour, plus de doute : elle « tombe enceinte », les murailles s’écroulent… Qui est le père ? ils étaient deux… Auquel « annoncer » qu’il sera père ?
L’Annonciation faite à Sarah est accompagnée, en Genèse 17, 19, d’un ordre sans commentaire « Tu appelleras son nom Its’haq, YZEQ », « On rira ». Ce rire a toutes sortes de significations : le rire de la joie, certes, mais aussi l’incrédulité de Sarah, 99 ans et ménopausée, qui « rit en elle-même (WTZEQ, Vatits’haq) » au verset 18, 12 ; et la moquerie d’Ismaël, « Sarah voit rire (Metsaheq, MZEQ) le fils d’Agar, l’Egyptienne » au verset 21, 9. Les moqueurs ont bien des raisons de mettre en doute les filiations officielles. Si une femme « annonce » à son mari qu’elle est enceinte, tout le monde se réjouit ; mais si une fille annonce à son père qu’elle est enceinte, tout le monde rigole : « De qui ? ».
Chaque accouplement peut être fécond, chaque femme enceinte est possi-blement porteuse du Messie, chaque grossesse est le lieu de l’espérance messianique. Mais elle en est aussi le lieu de la désespérance : aucun enfant n’est jamais le Messie. Ainsi le sexe de l’enfant, découvert naguère par la sage-femme, aujourd’hui par l’échographie, élimine pour les parents l’hypothèse – quelquefois le rêve – d’un enfant de l’autre sexe. De cela, le choix du sexe, rend compte, au début de l’Exode, l’épisode où Pharaon ordonne aux sages-femmes la noyade des enfants hébreux mâles, massacre dont Moïse, “sauvé des eaux”, réchappe. Plus généralement, chaque enfant qui naît élimine du réel tous ceux qu’il n’est pas mais qu’il aurait pu être. De cela, le « Massacre des Innocents » rend compte. La Nativité de Jésus apparaît comme un midrash calqué sur la naissance de Moïse, avec Hérode dans le rôle de Pharaon, et les Innocents des deux sexes dans celui des bé-bés hébreux mâles. Ouf ! les massacres dont la Bible regorge sont virtuels. C’est « pour rire » ! Ils renvoient aux fécondations qui n’ont pas eu lieu, aux gouttes de sperme éparpillées, aux ovules éliminés dans les règles féminines, aux combinaisons de chromosomes rejetées…
La grâce de Noé
Une relecture des Questions de Zapata et des sarcasmes de Voltaire à l’égard de la Bible s’impose. Dans le « Dictionnaire Philosophique », article « Elie et Enoch », il écrit par exemple « qu’Énoch, Anach, Annoch, signifiait l’année ; Que le Janus connu ensuite en Italie était l’ancien Anach, ou Annoch, de l’Asie; Que les noms d’Anne, de Jean, de Januarius, Janvier, ne sont venus que de cette source. » Rapprocher « année » de Hénoch, ENWK, est suggéré par les 365 ans que Genèse 5, 23 attribue à la vie de Hénoch. Mais Voltaire ne voit pas – quoiqu’il ne consacre pas moins de trois articles à la grâce – que EN, ‘Hen, ‘heth noun, c’est précisément la grâce. « An de grâce ? » Or en Genèse 6,8 figurent les deux mots EN, ‘Hen, Grâce, et son inverse NE, Noah’, noun ‘heth : « Mais Noé, NE, avait trouvé grâce, EN, aux yeux de YHWH. » Ce n’est pas une simple curiosité : dans les yeux, on se voit en effet inversé… ENH, c’est ‘Hannah, la « Gracieuse », mère longtemps stérile du futur prophète Samuel, d’où le masculin ENN, ‘Hanan, traduit par Anne masculin, et dont dérive YWENN, Yo’hanan, Jean, « Dieu fait grâce », qui fascine Dubourg.
Dans « Jésus et Virounèka » (Romillat, 2000), Marie Vidal a attiré l’attention sur la proximité du prénom Véronique – forme latine du prénom grec Bérénice – avec l’hébreu WYENK, Viy’hounéka, « et qu’Il te fasse grâce ». Sainte Véronique est censément une femme de Jérusalem qui, selon la représentation des chemins de croix, offre son voile au Christ montant au Calvaire pour qu’il puisse essuyer son front. Jésus s’en sert et le rend avec l’image de son visage qui s’y est miraculeusement imprimée. Le mot WYENK a lui aussi pour racine EN ‘Hen, « grâce », avec un ‘het guttural à l’origine du R de Virounèka, puis de Véronique. Ce mot apparaît dans la “bénédiction sacerdotale“, instituée en Nombres 6, 24-26, et prononcée jusqu’à nos jours par les Cohanim présents, dans les célébrations où est lue la Torah. La formule est la suivante :
25 Qu’Il fasse luire sa face vers toi, et te fasse grâce ;
26 Que l’Eternel lève sa face vers toi, et qu’Il te donne la paix.
De Noé qui trouve « grâce aux yeux de YHWH », et de YHWH « Qui tour-ne Sa face » vers toi, à l’image du Christ imprimée dans le voile de Véroni-que, suivez le midrash…. Au passage, comprenez pourquoi Bérénice, princesse juive maîtresse de Titus et héroïne de Racine, porte ce nom.
Les cornes de Moïse
Dans la célèbre statue de Michel-Ange, Moïse porte deux petites cornes arrondies, souvent attribuées à une “erreur de traduction” de la Vulgate. En Exode 34, 29 et 30, Moïse redescend du Sinaï, portant les deux tables de la Loi : « Moïse ne savait pas que la peau de son visage rayonnait (QRN, qara-ne) (…) voici que la peau de son visage rayonnait (QRN, qarane), (…) et les Enfants d’Israël voyaient le visage de Moïse rayonner (QRN, qarane)”. La Vulgate traduit ces QRN par cornuta et cornutam . En fait non seulement QRN peut se prononcer comme “corne”, cornu, cornus en latin, mais surtout QRN, vocalisé Qérène, signifie bel et bien “corne”.
« Corne » n’est pas loin de « couronne », Corona en latin. Ce peut être aussi un récipient. Elle est alors dite “corne d’abondance”. Dans 1.Samuel, 16, 1 YHWH ordonne à Samuel : ” Jusques à quand resteras-tu à pleurer Saül, alors que moi je l’ai rejeté pour qu’il ne règne plus sur Israël ? Emplis ta corne d’huile (QRNK SMN, qarénekha shémen) et va ! Je t’envoie chez Jessé de Bethléem, car je me suis choisi un roi parmi ses fils.” Et au verset 13 : “Samuel prit la corne d’huile (QRN HSMN, qéren hashémen) et oignit (WYMSE, Vayimesha’h) (David) au milieu de ses frères”. L”Oint, c’est MSYE, Machya’h, “Messie”.
Si Luc (2,2) fait naître Jésus à Bethléem, c’est qu’il y a un recensement, or-donné par… QuiRiNius, gouverneur de Syrie, personnage et recensements parfaitement historiques, à quelques années près. Et « corne d’huile » ? SMN HQRN ? Chémen haQérène ? “Bon Dieu, mais c’est bien sûr !” : Simon de Cyrène ! Quirinius, c’est l’homme de Cyrène. En grec, “Cyrène”, capitale de la « Cyrénaïque », sur la côte libyenne, c’est Kurênê, avec un Kappa. Quant à SMN, Chémen, l’huile d’onction, elle vient de Genèse 28, 18, après le rêve de l’échelle : “Levé de bon matin, (Jacob) prit la pierre (ABN) qui lui avait servi de chevet, il la dressa comme une stèle et répandit (WYZQ, Vaytsoq) de l’huile (SMN) sur sa tête”; et de Genèse 35, 14 (à Bethel) : “Jacob dressa une stè-le à l’endroit où Il lui avait parlé, une stèle de pierre (ABN), sur laquelle il fit une libation et versa de l’huile (SMN)”.
Simon de Cyrène porte la croix du Christ chez les trois évangélistes “synop-tiques”. Prenons Marc 15 , 21 : Et ils requièrent, pour porter sa croix, Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus. Dans l’épisode de la “ligature d’Isaac”, (“sacrifice d’Abraham”), c’est Isaac (YZEQ, Its’haq) qui “porte le bois” du sacrifice (Genèse 22,6). Isaac est le père d’Esaü – autrement appelé Edom, le roux, Rufus en latin – et de Jacob. Pourquoi le midrash fait-il de Ja-cob un Alex-andros ? sans doute parce que loxos, en grec, c’est « oblique » (cf « loxodromie »), et que Jacob sort « boiteux » de son combat avec l’ange (Genèse 32,32) : il a une « luxation » de la hanche.
Questions sur les Maccabées
L’historicité des Livres des Maccabées pose problème. Selon la version la plus courante, les Juifs, soumis à la domination grecque depuis la conquête d’Alexandre, se trouvent confrontés vers 168 à la volonté d’Antiochos IV Épiphane d’helléniser son royaume. Il réprimerait les coutumes religieuses juives, dont la circoncision, et profanerait le Temple de Jérusalem. Matta-thias donne alors le signal de la révolte, égorge un agent royal, ses cinq fils organisent la résistance et conduisent la Judée à la souveraineté politique et au rétablissement du culte à Jérusalem. Le livre des Maccabées débouche sur la réinauguration du Temple, source de la fête de Hanoukah, dite de la “Dédicace” dans l’Évangile de Jean.
Or le nom de Hanoukah, ENWKH, fête de l’”inauguration” du Temple, est formé sur la racine ENK, qui signifie “inaugurer”, “initier”. Ce mot est uti-lisé pour diverses inaugurations dans le texte biblique, Tabernacle du Dé-sert (Nombres 7, 10 puis 84 et 88), Temple de Salomon (1Rois, 8, 63), Temple d’Ezra (6, 16 et 17), muraille de Néhémie (12, 27). Sa traduction en grec a donné la célébration des « encénies ».
Le nom de Modiin, le village de Mattatias, est proche de celui de “Madian“, MDYN, où s’enfuit Moïse au début de l’Exode (et de celui de “Médine”, où, selon le Coran, s’enfuit Mahomet chassé de La Mecque). De même, l’assassinat perpétré par Mattatias, qui déclenche la révolte, évoque celui perpétré par Pin’has, FYNEX, qui déclenche l’extermination des Madianites par Moïse (Nombres 25, 6-7).
Le nom de la dynastie “hasmonéenne”, issue des Maccabées, vient d’un hypothétique ancêtre de Mattatias nommé Hasmonaï, ignoré du livre des Maccabées mais connu de Flavius Josèphe. Or la racine de ce nom est SMN, non seulement celle de “huile”, shémen, mais aussi celle de “huit”, shmoné. Précisément le miracle de la fiole d’huile qui a brûlé huit jours évoque la circoncision au huitième jour et justifie l’allumage des huit lumières du chandelier de ‘Hanoukah. Cette durée de huit jours est celle des deux autres fêtes de pélerinage, Pessa’h et Soukkot, et passe dans l’Église primitive sous le forme des « octaves », de Pâques, de Noël et d’autres fêtes. Quand Luc précise (2, 1) : “Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité »”, il sait que « César Augus-te », avant d’être César, s’appelait Octave, et qu’il a donné ce nom d’Auguste au huitième mois !
La montée et la descente de Beit ‘Horon, où Juda Maccabée livre bataille (1.Maccabées, 3 : 16. Il arrive à la montée de Beit ‘Horon . Iehouda sort à sa ren-contre avec un petit nombre d’hommes. (…) 24. Il les poursuit dans la descente de Beit ‘Horon jusqu’à la plaine.) renvoie à la célèbre bataille de Josué 10 où Jo-sué arrête le soleil et la lune (10 Israël leur infligea une grande défaite près de Gabaon, et les poursuivit par le chemin de la montée de Beit-‘Horon (BYT-EWRN) et les battit jusqu’à Azéka et jusqu’à Makkéda. 11. Et il arriva que comme ils fuyaient devant Israël – ils étaient à la descente de Beit-‘Horon – l’Eternel jeta des cieux de grosses pierres (ABNYM, Evanim) sur eux, jusqu’à Azéka, et ils moururent), voisinage qui fait de Beit ‘Horon le symbole de l’aurore et du crépuscule, phases intermédiaires entre le jour et la nuit. Il serait intéressant de savoir ce que les batailles de Beit ‘Horon ont à voir avec le Rouleau de Qumran dit « de la guerre des Fils de Lumière contre les Fils des Ténèbres »…
L’épisode spectaculaire de la mort d’Eléazar, écrasé par un éléphant, (1. Maccabées 6, 26 à 46), semble bien être un midrash sur l’épisode de la Tour de Babel (Genèse 11, 1-9) et par le voisinage du mot “éléphant” avec ALF, Aleph, nom de la première lettre, qui signifie également « mille » : 35. Ils ré-partissent les bêtes entre les phalanges et placent mille hommes auprès de chaque éléphant, (…) 37. De fortes tours de bois surmontent toutes les bêtes, pour les pro-téger, attachées à elles par des machines. (…) 39. Quand le soleil brille sur les bou-cliers d’or et de bronze, les montagnes reluisent d’eux et flambloient comme des torches de feu. (…) 43. Èléazar Horân voit une des bêtes cuirassée aux mailles du roi, elle est plus haute que toutes les bêtes et il semble que le roi se trouve dessus. 44. Il s’offre pour sauver son peuple et se faire un nom en pérennité. 45. Il court vers lui héroïquement au milieu de la phalange, il tue à droite et à gauche, ils s’écartent de lui, ici et là. 46. Il se glisse sous l’éléphant, le frappe par en dessous et le tue. Il tombe à terre, sur lui, et il meurt là.
Ce soupçon, que les livres des Maccabées soient largement (ou totalement ?) midrashiques, les travaux de Bernard Barc (Les arpenteurs du temps. Éditions du Zèbre, Lausanne, 2000) et d’Olivier-Pierre Thébault (Alchimie du Verbe I, Éditions OT, 2008) l’ont étendu à la Lettre d’Aristée, qui a répandu la légen-de de la traduction miraculeuse de la Bible des Septante.
Le judaïsme hellénistique
D’autres développements pourraient être consacrés aux Samaritains – de l’hébreu Shomer, SMR, « garder » ; aux Romains – de RM, Ram, haut, qui ex-plique Abram, AB-RM, et Aram, ARM ; à la Galilée – de l’hébreu GLYL, de mêmes valeurs guématriques, 37 et 73, que EKMH, ‘Hokhmah, la Sagesse ; ou encore au Graal, de l’hébreu GWRL, Goral, sort, destin… Cette accumulation de preuves confirme au centuple la thèse de Dubourg, selon laquelle le Nouveau Testament – et les apocryphes – sont issus par midrash de l’Ancien. De plus, elles la généralisent : le midrash est le procédé constant de construction de la Bible hébraïque, à partir du noyau de la Genèse ; et c’est le procédé de construction de la Genèse, à partir de la « révélation » des lois universelles de l’astronomie, de la biologie… et de l’ordre alphabétique.
Toute une compilation est à faire des auteurs qui ont étudié les liens de toute nature entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre les midrashim juifs et les paraboles évangéliques et gnostiques… Citons, si l’on s’en tient à des auteurs francophones, Paul Beauchamp, Roland Meynet, Marcel Jousse, Paul_Vulliaud, Armand Abécassis, Michel Remaud, Pierre Grelot, Thomas Römer…, Annick de Souzenelle, Marie Balmary, Marie Vidal…, et côté historiens, Pierre Vidal-Naquet, André Paul, Joseph Mélèze-Modrzejewski, Raoul Vaneigem, Paul Veyne, Mireille Hadas-Lebel, Roland Tournaire, Maurice Sartre…
Il faut réécrire, sans Jésus ni Paul, mais avec l’Évangile, l’histoire du judaïsme hellénistique, d’Alexandre le Grand à Philon d’Alexandrie et de Flavius Josèphe à Constantin. Le peuple juif, confronté à la tentation de « s’assimiler » jusqu’à se fondre dans la culture ambiante, perse, hellénique, latine, arabe…. produit, sur le plan intellectuel, les premières traductions de la Bible, Targums, Septante, Aquila de Sinope, Théodotion, la littérature deutérocanonique, évangélique, intertestamentaire, apocryphe, gnostique, dont les livres des Jubilés et d’Hénoch, la Lettre d’Aristée, les Manuscrits de la Mer Morte… d’où sectes et « hérésies », juives, chrétiennes puis musulmanes, du manichéisme perse au marcionisme et au chi’isme. Sur le plan économique et commercial, le développement des communautés juives d’Alexandrie, de la côte libyenne (Cyrène), de Carthage, de Rome, qui financent de leurs oboles le temple de Jérusalem, provoquent au gré des cri-ses et scandales (cf ce que dit Tacite de la crise de l’an 33) les pulsions antisémites dont témoignent la plaidoirie de Cicéron Pro Flaccus, les émeutes d’Alexandrie (38) rapportées par Philon dans le Legatio ad Caium, jusqu’à l’expédition de Vespasien et Titus contre Jérusalem et à l’écrasement de la révolte de Bar-Kochba. Sur le plan artistique, les synagogues et les fresques inspirées par l’Ancien Testament, comme à Doura Europos, transgressent l’interdit des images et annoncent les églises primitives. Sur le plan religieux, le calendrier julien, forgé à Alexandrie par Sosigène (hellénisation de BenSoussan ?), normalisé au Concile de Nicée, conduit à la nomination universelle des sept jours de la semaine, au découpage, hebdomadaire et saisonnier, de la Bible chrétienne par les « lectionnaires », inspirés des parachiot et haftarot juives, puis au refus musulman de tout calendrier solaire.
Au nom de la « laïcité positive » et de l’Union de la Méditerranée, la France peut susciter un rapprochement du Vatican, de l’État d’Israël et de l’Europe de la connaissance, avec ou sans la Turquie. On rêve que des centres universitaires de recherches, patronnés ou non par l’UNESCO, utilisant des translittérations normalisées en toutes langues, « revisitent » les textes et commentaires bibliques, évangéliques, apocalyptiques, coraniques, gnostiques, talmudiques…, canoniques et apocryphes…. Je suggère que Gallimard demande à Philippe Sollers, éditeur de Dubourg, et à Eric Vigne, traducteur du Midrash, de coordonner les équipes universitaires, françaises et québécoises, éditrices dans la « Pléiade » des Ecrits intertestamentaires, des Ecrits apocryphes chrétiens, du Livre du Graal, de la Légende Dorée… Une association avec les PUF, qui viennent de rééditer « La topographie légendaire des Évangiles » de Maurice Halbwachs (1941), avec les Éditions du Cerf, éditeur de la Bible des Septante et des Pères de l’Église, serait du meilleur effet pour solliciter de l’Université et de l’État encouragements et financements. C’est être de peu de foi que de craindre de telles recherches.
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La Bible hébraïque présentée, traduite (8 versions) et commentée sur JUDÉOPÉDIA
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MLL en vidéo UTLS, 26 février 2000, « Migrations et tensions migratoires ».
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