Critique parue dans Passages 1994
Excellente initiative des Editions du Félin que d’avoir fait traduire et adapter en français le livre du journaliste Paul Webster intitulé Pétain’s Crime, The full story of French collaboration in the Holocaust. S’adressant à un public anglais ou américain étranger aux querelles franco-françaises sur la légitimité du régime de Vichy et aux états d’âme envers le Maréchal, héros de Verdun, Webster appelle un chat un chat et Pétain un criminel. Son excellente investigation passionnera les jeunes et rafraichira les connaissances des plus anciens. Il dresse à grands traits la carrière antérieure et le destin ultérieur des responsables, et décrit le déroulement des faits, depuis la promulgation du prétendu statut des Juifs en octobre 1940 jusqu’aux ultimes déportations et assassinats d’août 1944.
De façon d’abord surprenante, puis attrayante, Webster applique une lecture anglaise à la laïcité française. On se rappelle Disraeli, Premier Ministre juif de Sa Gracieuse Majesté, opposant ses ancêtres, prêtres du Temple de Salomon, à ceux d’un contradicteur antisémite, vétus de peaux de bête dans quelque forêt profonde. On imagine mal Léon Blum revendiquer son ascendance dans les mêmes termes, parce que l’assimilation à la française prétend gommer les différences familiales, culturelles ou religieuses, qui sont naturelles outre-Manche. On sursautera d’abord en lisant : Si les Juifs français se sentent plus en sécurité après la réhabilitation de Dreyfus, leur sentiment d’intégration s’accroît encore en 1914, avec la nomination du premier Juif à l’Académie française en la personne d’Henri Bergson. Mais on comprendra mieux ensuite l’indignation de l’auteur, décrivant Bergson, âgé de quatre-vingt-un ans et gravement malade, se rendant en robe de chambre et pantoufles, à peine capable de marcher, pour se faire enregistrer en tant que Juif dans son commissariat du XVIème arrondissement. Cette épreuve physique s’ajoute à l’humiliation du plus éminent philosophe de sa génération, dont la mort est ainsi hâtée par les lois raciales appliquées par la police française, qui vont tuer tant d’autres figures éminentes des sciences, de l’enseignement, des arts et de la poésie. Si la France était l’Angleterre, il y aurait longtemps qu’on apprendrait dans les écoles que le philosophe Henri Bergson, décédé en janvier 1941 à Paris, et le poète Max Jacob, décédé le 5 mars 1944 à Drancy dans des conditions précisément décrites, ont été victimes du seul Pétain, et que Hitler n’est pour rien dans leur disparition prématurée.
Même si vous croyez tout savoir de Vichy et de l’Occupation, Webster vous instruira. Sur le rôle du médecin de Pétain, le docteur Ménétrel, plus violent antisémite de l’entourage du chef de l’Etat. Sur le destin des Juifs réfugiés à Nice, dont fait partie Arno Klarsfeld, le père de Serge, et qui sont d’abord protégés par les représentants de Mussolini, puis, après la chute du Duce, sont livrés au bourreau de Salonique, Aloïs Brünner. Sur ce que savaient les autorités françaises d’avant et après la Libération des atrocités commises à Natzweiler-Struthof, en Alsace. Et sur la francisque de François Mitterrand.
Ce fut un Américain, Paxton, qui apprit aux Français ce qu’avait été la politique du régime de Vichy. Peut-être fallait-il un Anglais pour que les Français prennent enfin conscience des turpitudes de Pétain, Laval, Maurras, Vallat, Bousquet, Leguay, Papon, Darquier, Touvier, et pour qu’ils s’indignent des complaisances dont ils ont bénéficié et bénéficient encore de la part des hommes politiques, des juges et des historiens. Aux yeux de ceux qui portent toujours le deuil de leurs morts dans les chambres à gaz, et de ceux qui doivent encore supporter, jour après jour, les conséquences des tortures, de la faim et de l’humiliation qui leur ont été infligées par un pays chrétien…, aucune requête n’est nécessaire pour déterminer le coupable de ces crimes contre l’humanité. Il leur suffit de lire les deux statuts des Juifs, qui débutent par ces mots, « Nous, Maréchal de France, chef de l’Etat français » et se terminent par cette signature : « Philippe Pétain ».
Paul Webster « L’Affaire Pétain « , traduit de l’anglais par Claude Esmein, Editions du Félin, 1993, 306p., 145 F.
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